Antoine Dubourgnon… Voila un nom qui résonne dans notre esprit comme un synonyme de plein d’autres mots: freeride, backflip, barrel roll, grosses barres, Rampage, Mountain Style…etc Mais un nom qui résonne presqu’aussi au passé…
Antoine, je l’ai connu il y a exactement 10 ans, lors des courses de la Coupe du Rhône-Alpes de DH 2004. A l’époque âgé de 15-16 ans, une tête de premier de la classe, un bon vieux Specialized Big Hit avec la roue arrière de 24′ (qui en a orienté plus d’un vers la DH ou le freeride) et déjà 2 grandes qualités: un engagement remarquable et une discrétion presque maladive.
A ce moment là, j’avais plutôt remarqué son pote Adrien qui roulait sur un Orange 222 et qui, pour son âge, était peut-être plus impressionnant et doué d’un gabarit de bûcheron ardéchois adolescent.
A l’heure actuelle, Antoine roule toujours, de temps en temps, avec Adrien qui a lâché la compétition mais qui, parait-il, a gardé un bon coup de guidon.
Quelques années après cette rencontre hasardeuse (je me souviens même lui avoir acheté un plongeur de Boxxer), on commençait à entendre parler d’Antoine qui débutait dans « les rotations arrières à bicyclette »… Puis très vite on l’aperçu tourner la tête à l’envers sur des barres rocheuses, ajouter un peu de rotation transversale à ses mouvements et devenant (sûrement), à l’époque, les seul français à envoyer des Barrel-Roll sur des bons gros gaps (sans compter une panoplie de tricks plus courant mais tout autant techniques: superman seat grab, tailwhip, 3.6,…etc). .
En peu de temps, Antoine s’était fait un nom, une réputation, puisqu’au-delà de la difficulté des tricks qu’il parvenait à réaliser, il présentait la particularité de les faire sur des gros gaps et pour beaucoup, il n’était pas un dirter mais plutôt LE freerider français du moment, quasiment le seul frenchie capable de faire du « big mountain ».
En 2007, je l’apercevais aux 2 Alpes lors du slopestyle Paradise Trail – The Cut organisé pendant le week-end de la Mountain Of Hell. Ce jour-là, comme tant d’autres, Antoine n’avait pas dérogé à sa réputation « d’envoyeur de gros »… Il termina 5è derrière « le jeune » Sam Pilgrim, Jérôme Terrier, Rodolphe Legendre et Fred Austruy (et Thomas Genon avait terminé 1er Amateur à 13 ans).
Photos d’époque…
En Barrel-Roll:
En Superman Seat Grab sur la grosse passerelle:
En pleine montée en puissance (photo de 2008), Antoine pu participer au Châtel-Mountain Style à plusieurs reprises où il s’est bien fait remarquer… Ce format de contest, les lignes proposées (sur un parcours plutôt naturel) lui correspondaient tant ! Vainqueur amateur en 2009, il pu ensuite accéder à la catégorie « Pro ».
En 2010, le Sain Graal arriva dans sa boite à lettre, une invitation pour la Red Bull Rampage… Motivé comme un Ardéchois qui se jette dans son frigo rempli de Caillette, Antoine prépare sa ligne, fait de bonnes reconnaissances, mais se crashe… Dommage !
En 2011 à Châtel, il est toujours de la partie, s’envoie un des plus gros gap comme un super-héros, mais il chute encore.
Au final, Antoine aura participé à tous les plus gros événements freeride/slopestyle des 6-7 dernières années… (Où il n’a pas fait que se fracasser):Red Bull Rampage, Châtel Mountain Style, FISE, Paradise Trail, Braun 26 Trix, Roof’an Slopstyle Avoriaz, Bearclaw Invitational,… Et sa dernière compétition remonte au Pradelles Hill Master 2012.
Depuis, il a un peu « décroché » de la compétition mais il roule toujours… Et pas qu’un peu !
L’an passé, fin février, je croisais encore Antoine sur une de ses pistes (une DH de plus de 7 minutes), à Sainte-Marguerite au-dessus de Vals Les Bains, mais je n’étais pas vraiment là-bas pour le filmer.
Cette année, au mois d’avril, Antoine me maile pour me demander si je peux le filmer… Je ne suis pas disponible sur le moment mais je lui promets que dés que j’ai du temps libre, je le recontacterai.
Début Juin, j’appelle Antoine pour qu’on fixe une date de tournage rapidement… Après plusieurs tentatives, je parviens quand même à l’avoir et on décide de tourner dimanche 8 juin sur sa piste de Vesseaux, au dessus d’Aubenas. Il m’annonce qu’il s’agit d’une petit piste, courte et intense en sous-bois.
Dimanche matin, départ à 7h30 de chez moi. Antoine arrive en même temps que moi à Vesseaux à 9h00, parfait… Sauf qu’il fait déjà bien chaud et je pense qu’il va en baver toute la journée, seul, pour remonter son VTT et enchainer les plans !
En bas de la piste, Antoine s’équipe et sort son nouveau Banshee Darkside (qu’il adore). On attaque la montée en direction du sommet en passant par une autre ligne, tracée par un local et beaucoup moins pentue que la ligne d’Antoine qu’on aperçoit sur notre droite.
Après quelques pauses, on arrive quand même rapidement en haut.
Le départ, plutôt discret au milieu des taillis, est très pentu. Je fais quelques plans « lifestyle » sur le chemin de 4X4 puis on commence la descente.
D’entrée de jeu, je me retrouve en mode « glissade cucu-luge »: la piste est très sèche, le sol est granuleux et je ne tiens pas sur mes appuis, je m’agrippe aux arbres pour ne pas me fracasser avant de trouver des points stratégiques qui me permettront de filmer. Antoine, quant à lui, est bien habitué de la marche en haute-montagne (une de ses passions récentes) et remonte, en portant son VTT sans trop de difficulté… Mais en descente, sur le VTT, l’adhérence est précaire.
Plan 4: Je suis quasiment contre un arbre pour rester debout à l’intérieur du virage, Antoine arrive et dans la transition entre son virage à droite et le suivant à gauche, il fait un joli OTB sans dégât physique. Malheureusement, une fois le VTT relevé, il s’aperçoit qu’il n’a plus de frein arrière. L’étrier a dû taper quelque chose et le piston fuit. Ce genre d’avarie n’arrive jamais et on est donc obligés de redescendre au camion d’Antoine et d’aller chez lui, de l’autre côté d’Aubenas pour récupérer le frein arrière de son Rampant de Dirt.
Sur le chemin, on bavarde un moment, je lui demande s’il a des nouvelles des gars qu’on a connu par le passé mais dont on entend plus parler… Des gars qui m’ont laissé des bons souvenirs lorsqu’en 2006 j’avais organisé une grande partie de la Corm’Fly Session en Ile France (mon article sur Pinkbike à l’époque), un petit slopetyle qui avait vu la participation de ses potes Anthony Tomassi, Jérôme Terrier, Loïc Mercier…
A. D.:« Tu sais, ces gars, ils roulent toujours et s’ils reprenaient les compétitions, ils en plieraient plus d’un ! Ils ont toujours un style de fou… Mais le slopestyle a évolué, l’ambiance a changé et je ne m’y retrouve pas forcément. Il y a des jeunes actuellement qui bouffent du bac à mousse et du trampoline à longueur de semaine mais pour moi, ils ont oublié l’essence du ride. Ils sont très forts en termes de tricks, plus forts que moi ou que les gars dont on vient de parler… Mais en dehors des tricks, certains ne sont pas beaux à voir rouler. Nous (les anciens ?), on est tous passés par les courses de DH régionales et je pense que c’est la meilleure école pour gagner en style, en fluidité. Je me rappelle au Bearclaw Invitational, j’y étais allé avec Anthony Tomassi et dés son 2è run d’essai il avait tout passé, c’était impressionnant. Les américains et les canadiens sur placent galéraient mais lui, il passait ça grâce à son style,… Mais ensuite, il n’envoyait pas les mêmes tricks «
Assez d’accord avec lui, je me dis que le VTT évolue rapidement ces dernières années… Le slopestyle (pas le big mountain) ne me passionne pas forcément mais il faut bien reconnaitre que les riders actuels deviennent des envoyeurs de tricks ultra-spécialisés et que des contests en pleine nature, comme à Châtel, n’ont quasiment plus lieu. Même la Rampage voit l’apparition de plus en plus de modules artificiels pour envoyer des tricks… Mais il est vrai que cette compétition reste encore la dernière (?) où il faut savoir mettre les roues dans la pente.
Je ne peux m’empêcher, dans ma tête, de faire le lien entre l’évolution des circuits de slopestyle, toujours plus lisses, avec des sauts de plus en plus gros, qu’il faut prendre à des vitesses impressionnantes,.. et l’évolution de la DH en Coupe du Monde, avec finalement les mêmes caractéristiques: des pistes aseptisées, des sauts de plus en plus longs, des vitesses moyennes de motocyclisme…
Tchouk.: « Et la dernière grosse jam qu’on a vu en vidéo, la « Aggy’s reunion« , qu’est ce que tu en penses ? »
A. D.: « ça m’aurait plus un truc pareil ! L’ambiance devait être géniale et c’est avant-tout cet état d’esprit qui me décide à aller sur un événement… Et puis ces sauts énormes, c’est mon truc !
Et puis tu sais, l’ambiance dont je te parle, c’était vraiment super, on ne se prenait pas le chou. Jérôme Terrier et les gars du 57 Crew, on se marrait bien ! Anthony avec sa Fiat Uno de compèt’,… »
Tchouk: « Tu te rappelles de Julien Meunier de chez 24 Bicycle ? »
A.D.: « Oui mais c’était une autre génération… Il en a fait de belles lui »
Tchouk: « Et Damien LBF Huszcz ? »
A. D.: « Haaa oui, vraiment sympa ! Un mec tranquille ! »
Tchouk: « Et quand tu regardes la Rampage, tu ne trouves pas que ça a peut-être évolué depuis 4-5 ans, que les jumps sont trop gros et qu’il va y avoir un mort un de ces jours ? »
A. D.: « Non, je ne pense pas. L’Icon Sender y était déjà lorsque j’y étais en 2010. Ils ont par contre rajouté la passerelle où Cameron Zink a fait son backflip… C’est fou mais ces gars savent ce qu’il font… Mais tu sais, pour l’instant, j’ai un regret, c’est de m’être blessé là-bas et je garde l’espoir d’y retourner… Parce que cet événement, ça reste une aventure incroyable à vivre. En plus, lorsque je suis tombé, je n’y pouvais rien, c’était juste parce que la terre n’était pas assez tassée… C’était vraiment frustrant… Même si j’y ai ensuite passé de bons moments avec Yannick Granieri »
11h15, on est de retour en bas du spot… J’ai fais 4 plans… Aïe…
On décide de manger en haut de la piste alors on monte finalement en camion et Antoine nous concocte une de ses meilleures recettes de grand chef italien: des pâtes avec une tranche de melon et un bon morceau de pâté.
Tchouk: « Tu vis où au fait ? »
A.D.: « Avec mon frère, on a acheté un terrain et je me construis une grande cabane… Je vais dans la forêt et je récupère du bois que je façonne pour en faire ma maison. 30m², pas plus, ça me suffit. Je vis dehors, j’ai besoin d’être dans la nature. Le soir, après le boulot, j’aime prendre mon camion et aller dormir là où je me sens bien, dans la montagne. Cet hiver, j’ai un peu travaillé en Lozère. Le soir, je me posais au milieu des petits villages, je dessinais, je lisais, et les gens qui distinguaient la lumière venaient me voir, par curiosité. Tu ne restes jamais seul à la campagne. Et puis je ne suis pas frileux. Une fois, je me suis réveillé un matin, il faisait -17°c et l’eau qui était dans la casserole à côté de moi avait gelée. »
Tchouk: « D’ailleurs, tu sais que je connais un peu la Lozère… Je suis originaire du Cantal, de Mauriac, ça se ressemble un peu et j’y suis allé quelques fois, du côté de Mende… »
A. D.: « Aaaahhh le Cantal, j’y suis passé l’été dernier, j’adore ce coin et à Mauriac c’est sympa… En fait j’aime bien la zone qui va du Plateau Ardéchois jusque là-bas. C’est aussi sur le plateau que mes parents, auvergnats d’origines, se sont établis dans les années 80. Je suis né là-haut puis on est redescendu vers Aubenas parce que c’était un peu trop rude. Mais depuis, j’aime donc ce coin et aussi la haute-montagne. D’ailleurs je pars souvent en road trip, seul avec mon sac à dos, en stop. J’ai fais une bonne partie de l’Europe comme ça. Je suis même allé en Islande »
12h00, on redémarre de là où Antoine a chuté… La luminosité est meilleure, ce n’est pas plus mal !
Plan 6: ça descend vraiment beaucoup… J’ai du mal à pieds, surtout avec mon (petit) matériel.
Plan 10: Je pense qu’Antoine commence déjà à fatiguer à cause de la chaleur des remontées à pieds successives en portant le vélo… On est sur un gros saut et de l’appel, on ne voit pas la réception. En plus l’appel n’est pas du tout dans l’axe du saut. Antoine se lance et lâche un petit « Aaaarrrgg » dés le début de l’envol… Il va trop loin, trop à gauche et se prend une compression impressionnante, se fait éjecter du vélo et tape la tête dans le talus (à 2’23 » dans la vidéo)… Je me dis qu’il s’est assomé, qu’il s’est cassé quelque chose… Mais non. Il se relève doucement.
A. D.: « ça va, attends, je récupère un peu, je souffle, et je te le refais ! »
Tchouk: « T’es pas bien dans ta tête ? Tu as vu ce que tu viens de prendre ? Tu vas le refaire ?! »
A. D.: « Oué oué, je vais le refaire, tout de suite, faut juste que je souffle, c’est tout »
Tchouk: « T’es malade, tu as fumé quoi ? »
A. D.: « Bah rien, je n’ai jamais fumé »
Tchouk: « Non, pas possible ?! »
A. D.: « Bah si, je n’ai jamais fumé un pétard. Il y a même un prof du collège qui avait appelé mes parents pour dire que j’arrivais en cours déchiré… Mais non, je n’ai jamais fumé. Mes copains n’y sont jamais parvenus »
(On partage un truc en commun ! Mes copains non-plus !)
Plan 11: Après avoir posé des repères au sol, Antoine se lance et ça passe (0’55 » dans la vidéo)
Plan 12: Et ça repasse encore, et sans un bruit à la réception.
Plan 14: Antoine envoie un joli tabletop en transfert… Il le refait 3 fois, il fait 32°c… Moi qui ne bouge quasiment pas là, puisqu’Antoine préfère refaire ces plans, je dégouline de sueur… Alors lui…
Plan 18: Le barspin rentré au premier essai ne passe plus… Antoine remonte à chaque fois et retente le truc 4 fois de suite avant de s’écrouler. Il a besoin de repos, il fait trop chaud, on n’a presque plus d’eau et ils s’est encore mis un bon OTB sur la tête.
Plan 23: Après 15′ de repos, le barspin passe enfin et malgré l’absence d’eau, Antoine décide de terminer les plans jusqu’à l’arrivée (on n’est plus très loin).
Plan 35: On est enfin en bas. Antoine peut boire car il y a de l’eau dans ma voiture… Mais il souffre de maux de tête dus à la chaleur et aux chocs. Je lui demande s’il peut faire une descente avec la caméra embarquée mais il ne préfère pas, il est cuit ! Alors je n’insiste pas.
On fera juste quelques derniers plans et pour le retour sur le chemin de 4X4 avec la caméra embarquée sur le cadre.
Il me reste à faire quelques plans de coupes, des plans de paysages et après avoir fait le plan où Antoine parle, je le renvoie chez lui, je préfère terminer seul. Antoine est décomposé, il faut qu’il se repose… J’ai même peur qu’il se soit cassé quelque chose… Tant pis aussi, pour les quelques photos que j’aurais aimé faire pour accompagner cet article.
Je suis donc reparti avec peu d’images et la vidéo que je vous propose est courte et sans gros tricks (auxquels on aurait pu s’attendre avec Antoine)… Mais je ne suis pas déçu ! Quelle journée ! C’est un vrai guerrier cet Antoine… Et avec son air nonchalant, sa simplicité dans de nombreux domaines, il dégage un tel charisme… Il force le respect !
De mon côté, je ne repars pas « changé » après cette journée, mais Antoine laisse à réfléchir… Il sourit sans cesse, il a l’air plutôt heureux, alors ses choix de vie, le fait d’être très proche de la nature, de se contenter de peu, d’être dégagé de tout sentiment matérialiste… C’est peut-être ça la solution ?
J’espère qu’on aura encore l’occasion de tourner… Mais la prochaine fois, on fera ça sous une température normale et avec des gens pour aider dans les remontées ou avec plusieurs riders pour se relayer !
D’ici-là, vous apercevrez Antoine dans le futur projet vidéo Hexagone qui rassemblera tous les meilleurs riders français… Voila le Teaser (magnifique !)… Il prépare d’ailleurs quelque chose d’unique pour ce film.
Allé hop, voila donc ma vidéo d’Antoine, filmée dimanche dernier:
Antoine Dubourgnon: Freerider Par Nature – Natural Born Freerider (un titre inspiré du film Natural Born Killer… Mais il me fallait les mots Nature et Freeride pour que ça colle avec le personnage)
Juste avant de vous laisser, je verrai peut-être certains d’entre-vous à Valloire le week-end prochain sur la 3è manche de l’Enduro World Series à laquelle je participerai.
Je vous rapelle que vous pouvez suivre les aventures de mon équipe, le Green Master Team, sur ce lien.
Prochaine vidéo prévue à Super-Besse, le premier week-end de Juillet pour la Coupe de France, avec le Team X1 Racing.
A plus.
Julien